mardi 11 janvier 2022

Tão forte quanto a vida

"Tão forte quanto a vida", ça signifie "Aussi fort que la vie" et c'est le titre d'un article du magazine littéraire Quatro Cinco Um sur Ligeiro amargor: uma história do chá, la version brésilienne de Légère amertume: une histoire du thé.
Fin 2021, Quatro Cinco Um avait classé l'album dans sa liste des meilleures bandes dessinées de l'année publiées au Brésil.

Vous trouverez le lien menant à l'article en ligne en question ici mais pour les non-lusophones, nous en avons fait une traduction en français ci-dessous. Bonne lecture à  vous ! ^^



Aussi fort que la vie
En racontant l’histoire du thé, une bandes dessinée africaine montre les conflits et les plaisirs entourant la boisson la plus consommée au monde.

Paula Carvalho
01jan2022 05h51 (01jan2022 13h49)

Ilustrations de Koffi Roger N’Guessan Extrait

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Elanni & Djaï
Ligeiro amargor:  uma história do chá
Trad. Maria Emília Palha Faria
Skript • 76 pp • R$ 79
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Lorsqu’ils boivent trois verres de thé à la menthe, les Touaregs, le peuple nomade qui habite les régions désertiques d’Afrique du Nord, disent que le premier est « aussi fort que la vie », le second « aussi amer que l’amour » et le troisième « aussi doux que la mort ». C’est ce dicton qui guide les trois chapitres de la bande dessinée Légère amertume : une histoire du thé, scénarisée par Elanni et Djaï et illustrée par Koffi Roger N’Guessan.

À travers trois moments de la vie d'Adjoua - lors de son enfance à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 1964; à Freetown, en Sierra Leone, en 1983; et plus âgée à Pékin, en Chine, en 2019 , nous découvrons l’histoire du thé, une boisson consommée par 70% de la population mondiale, selon Gervanne Colboc-Leridon de Cape and Cape, une maison de thés d’Afrique. Elle explique dans un texte qui apparaît à la fin de la bande dessinée comment la production de thé sur le continent a augmenté, à tel point que le Kenya est le troisième producteur mondial, derrière la Chine et l’Inde.

De la Chine au monde

Dans la première partie de la bande dessinée, une Adjoua effrayée court en pleurant dans les bras de sa mère après avoir reçu le sourire d’un homme plus âgé qui prend le thé avec un groupe d’amis. Pour la calmer, la mère de la jeune fille prépare un thé à la menthe alors qu’elle raconte comment elle a reçu une théière cabossée, qui appartenait au sultan du Maroc, cadeau du duc de Buckingham, à la fin du 17ème siècle. C’est à partir de ce contact des Anglais avec les Marocains que le thé s’est répandu dans toute l’Afrique de l’Ouest, même si les peuples du continent fabriquaient déjà des infusions avec d’autres herbes.

Petite parenthèse: « thé » est le nom qui est donné spécifiquement à la boisson faite avec les feuilles de Camellia sinensis; « infusion » est le nom de la boisson faite avec d’autres plantes, qui était déjà pratiquée par d’autres cultures dans le monde. Cependant, le terme « thé » est devenu populaire de nos jours pour parler de tout type d’infusion. Une autre curiosité est l’origine du mot « thé », qui vient de « cha », en mandarin parlé en Chine continentale et qui était le nom utilisé à Macao, où les Portugais commerçaient avec les Chinois. Le terme  « thé », à l’origine des mots anglais, français, espagnol et italien vient du port de Min Nan, de la province maritime de Fuijan, où les nations européennes étaient en contact avec la Chine.

C’est d’ailleurs dans la deuxième partie de Légère amertume que l’on en sait un peu plus sur l’origine du thé, un processus gardé secret par l’empire chinois, uniquement connu au Japon et en Corée. Au milieu de l’expansionnisme de l’impérialisme britannique au 19ème siècle, la reine Victoria a envoyé, en 1848, le botaniste Robert Fortune à la découverte des secrets du thé chinois. Dans une mission digne de grands noms de l’espionnage, Fortune s’est déguisé en riche propriétaire terrien et est allé sur le territoire chinois à la recherche de plantations de thé. Là, il a réussi à démêler les processus d’horticulture et de fabrication de la plante, introduisant sa culture avec succès en Inde et créant une habitude que nous voyons maintenant comme « anglaise » : le thé de l’après-midi. Le contrôle de la commercialisation de la plante a été le déclencheur principal des soi-disant guerres de l’opium, qui ont eu lieu entre les années1840 et 1850. Les différends entourant le thé au 19ème siècle y sont également comparés à ceux des diamants de sang à la fin du 20ème siècle.

Le troisième chapitre montre l’origine mythique de la boisson en Chine à travers l’histoire de l’empereur Shennong, considéré comme le père de l’agriculture chinoise et le découvreur du thé, qui remonte à quatre millénaires.

Comme le thé, la propre production de la bande dessinée est, disons, transnationale. A l’origine, Légère amertume a été publié en 2019 au sein de la collection L’Harmattan-BD, dirigée par Christophe Cassiau-Haurie, dédiée à la bande dessinée d'Afrique ou d’auteurs nés sur le continent. Il s’agit du premier roman graphique africain publié par Skript Editoria, qui vise à amener plus de bandes dessinées du continent africain au Brésil, comme expliqué dans le post-scriptum de l’éditeur de bandes dessinées et chercheur Márcio dos Santos Rodrigues. Dans des travaux antérieurs, les scénaristes Elanni et Djaï ont participé à une adaptation en bande dessinée de nouvelles de l’écrivain Malcolm de Chazal, originaire de Maurice, dans le cadre du recueil Morne Plage également publié par L’Harmattan-BD en 2016, qui réunissait des auteurs mauriciens et malgaches.

Koffi Roger N’Guessan est un auteur de bande dessinée, illustrateur et professeur des Beaux-Arts né en Côte d’Ivoire. Dans la même collection dirigée par Cassiau-Haurie, il publie Milles mystères d’Afrique/Séductions (2013), Les Fins limiers (avec Cassiau-Haurie, 2016) et Chaka (avec Jean-François Chanson, 2018), en plus de participer à l’anthologie Nouvelles d’Afrique (2014). Un fait curieux à propos de Légère amertume est que, à l’origine, la bande dessinée aurait dû être illustrée par Malika Dahil (connue pour être la première artiste de bande dessinée féminine du Maroc), qui vit à Manaus, la capitale de l’Amazonas, depuis 2016, avec son mari brésilien, l’artiste également bédéiste Eunuquis Aguiar – l’édition soignée de Skript Editoria inclut les planches encrées de la dessinatrice marocaine.

En plus de nous renseigner sur la production croissante de thé dans les terres africaines, Légère amertume nous montre comment le continent est également fertile dans la création de BDs, qui, nous l’espérons, arriveront de plus en plus au Brésil.

Légère amertume n’est que la première gorgée d’une production riche et diversifiée venant d’Afrique que nous devrions mieux connaître.

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